Un chien à l’école

Publié le 12/02/2018

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Grâce à elle, les cours de l’école spécialisée EPA de Saint-Cergue (VD) deviennent ludiques. Elle, c’est «Tahiti», une jeune Golden Retriever qui a pour mission d’aider les élèves en difficulté.

Sur sa table de soins, « Tahiti » fait sa star et prend la pose pour la photo

Dès notre entrée en classe, Tahiti nous accueille en amis. Queue fouettant le sol, la jeune Golden Retriever tourne autour de nous en poussant la tête contre notre main: c’est qu’il ne faudrait pas rater une minute de caresses! «Allez, viens là, Tahiti, couché!», la tempère son maître Stephan Läng, enseignant à l’école spécialisée et internat EPA (École Protestante d’Altitude) de Saint-Cergue, au-dessus de Nyon. C’est grâce à ce dernier que des enfants et ados ont la chance de bénéficier, depuis deux ans, de la présence bienveillante et bienfaisante d’un chien scolaire – le tout premier accrédité de Suisse romande. «J’aime trouver des projets qui puissent motiver les jeunes souffrant de troubles de l’apprentissage, explique-t-il. En réfléchissant à la manière de les motiver et de rendre leurs études plus concrètes, je me suis dit: «Pourquoi ne pas prendre un chien?» Stephan Läng écrit alors un projet, qu’il soumet à Olivier Girardet, le directeur de l’établissement. «J’ai eu la chance que celui-ci accepte et me soutienne à cent pour cent. Je suis alors allé chercher Tahiti, âgée de 4 mois, dans un élevage. Mais le projet était tellement précurseur en Suisse romande que cela a été ensuite un véritable parcours du combattant pour le mener à bien: j’ai dû suivre plusieurs formations à l’Institut français de zoothérapie, puis faire une demande au vétérinaire cantonal. J’ai reçu une première autorisation l’an passé, mais qui interdisait aux élèves de toucher la chienne: selon cet office, les jeunes auraient dû effectuer tous les gestes en lien avec elle sur un chien en peluche… J’ai dû insister plusieurs fois et attendre près d’un an et demi au total pour avoir le droit de m’inscrire aux tests PAM (Prévention des Accidents par Morsures de chiens) avec Tahiti. Nous les avons passés l’été dernier et disposons ainsi enfin d’une certification qui autorise officiellement Tahiti à accéder à toutes les classes du canton de Vaud.»

Stephan Läng utilise « Tahiti » pour illustrer un exercice de mathématiques

Entre toilettage et calcul

Celle-ci s’impatiente, car derrière la porte vitrée, ses copains de jeux se rassemblent peu à peu. À la sonnerie, ceux-ci entrent à la queue leu leu, les joues rougies par le froid, en nous jetant un regard curieux. Ils sont tous là: Laurie, Kiara, Gillian, Damien, Marc, Julien, Jérémy et Almir. Prêts à passer une nouvelle journée avec leur ange gardien à quatre pattes. Première tâche de la journée: brosser Tahiti. «Où sont les objets de toilettage?», demande d’un air important Damien, responsable ce matin du brossage au peigne large. Sur sa table de soins, Tahiti fait sa star et prend la pose pour la photo. Damien lui glisse une croquette et un petit bisou, avant que Jérémy ne prenne le relais du brossage avec le peigne fin. Mais cette fois-ci, Tahiti refuse de bouger, regard languissant et truffe posée sur ses pattes. «Allez, flemmarde, debout!», insiste Julien, qui vient à la rescousse et conseille à son camarade de la saisir à la taille. «Bon, allez, je te fais une petite coupe, murmure Jérémy à l’oreille de la chienne enfin levée. Mais c’est que tu en perds, des poils!»

« Tahiti » est bichonnée par les élèves…

Pendant ce temps, les plus grands se sont attelés à la résolution d’un problème, tout en gardant un œil attentif sur le toilettage en cours: si un chat et un lapin pèsent 10 kilos, qu’un chien et un lapin en font 20, et qu’un chat et un chien font 24 kilos, combien pèsent ensemble un chat, un chien et un lapin? «Pffffff, soupire Gillian, on peut prendre la calculatrice, M’sieur?» – «C’est l’avantage de la présence de Tahiti: tout le projet éducatif s’articule autour d’elle et permet d’aborder les différentes matières de manière ludique et didactique, souligne Stephan Läng en aparté. On peut ainsi faire du calcul en prenant en compte le budget que représente la possession d’un chien, le poids des croquettes, aborder le thème des fonctions et diagrammes en tenant à jour un graphique pour suivre l’évolution de son poids, faire des recherches internet, tout est possible! En parallèle, les élèves ont la responsabilité de nourrir et de soigner le chien. Ils vont également le promener trois fois par jour. Dans ce type de projet, votre seule limite est celle de votre créativité!» Ainsi, le nettoyage des dents de Tahiti permet de répéter les gestes adéquats, comme par exemple aller doucement de la gencive à la dent.

Almir calcule consciencieusement le poids des croquettes.

Ronde de questions

L’enseignant enchaîne avec un cours d’éducation sexuelle, par le biais d’une vidéo montrant Tahiti à sa naissance. «L’éleveur a pris des photos et fait des vidéos d’elle depuis sa naissance, explique-t-il. Vous pouvez les voir sur Vimeo, en tapant «Tahiti». Mais avec d’autres mots aussi, hein, sinon vous n’allez trouver que des trucs sur la Polynésie!» Tous les regards sont braqués sur le téléviseur, et l’image de la chienne Céleste qui, couchée sous une lampe chauffante, met au monde ses petits un à un. «On voit bien les contractions», commente Stephan Läng –«Moi, j’ai vécu l’accouchement de ma minette, annonce Kiara. Et il s’est passé un truc extraordinaire: le chien a aussi léché les bébés, et maintenant, ils l’adorent et se roulent sur lui!»

La vidéo fait ensuite naître une discussion animée sur les vrais et faux jumeaux et les enfants de la classe nés ou non par césarienne, puis une question fuse: «Pourquoi Tahiti n’a pas la même couleur que son père?» – «Ah, est-ce qu’on vous a déjà dit que vous avez les mêmes yeux que votre mère, ou le même nez que votre père? demande l’enseignant. «Oui, moi j’ai les mêmes dents que mon père!», s’exclame fièrement Kiara. «C’est quoi, qui permet cette ressemblance?» «La génétique!» – «Vous avez déjà vu des émissions policières où ils parlent de ça?» – «Pas besoin, y’a des jeux, aussi, M’sieur! Et aussi un dessin animé ou une BD, j’sais plus, avec un barbu qui explique tout ça!» – «Oui, c’est là qu’il y a la course entre les spermatozoïdes, M’sieur! En plus, certains se fracassent la tête contre l’ovule… non, j’rigole!» – «En arrivant à l’ovule avant les autres, vous êtes chacun arrivé premier à une course contre plusieurs millions de concurrents, c’est important de vous en souvenir!», souligne Stephan Läng, provoquant des rires triomphants.

Le brossage des dents permet de répéter les gestes adéquats.

La parole à chacun

Il est temps de s’installer en cercle pour le conseil, qui permet à chacun de prendre la parole pour faire le bilan de la semaine écoulée et donner des idées pour la suite du programme. «Moi, j’ai trouvé que ma semaine s’est bien passée, je suis content», annonce Marc. «Et moi, j’ai été très déçu de rater la sortie en raquettes parce que j’étais malade», déplore Julien. Après que chacun a participé à la discussion, il reste une petite heure pour que les grands terminent une fiche. Kiara, Jeremy et Julien, eux, s’affalent contre Tahiti pour la câliner. «Oh, elle m’a léchée», s’extasie Kiara, qui arbore fièrement un bracelet confectionné avec les mêmes cordelettes que le collier de la chienne – créé quant à lui par Julien lors d’une leçon de couture. Tandis qu’Almir calcule consciencieusement le poids de croquettes à donner à l’animal, Laurie va jeter un coup d’œil au menu affiché contre le mur: «Oh non, c’est celui de la semaine dernière! Je croyais qu’il y avait des pâtes, je meurs de faim!»

C’est effectivement la fin de la matinée – et l’heure du repas. Dans un tourbillon de vestes, tous s’envolent vers la cafétéria sans un regard en arrière. Avec un gros soupir, Tahiti se couche contre la porte et ferme les yeux: être la coqueluche de l’école, ce n’est décidément pas de tout repos!

Les élèves ont la responsabilité de promener « Tahiti » trois fois par jour.

L’art du dressage

Fort de son expérience personnelle, Stephan Läng explique l’importance du dressage, destiné à faire du chien un partenaire efficace: «Ce qui est primordial, c’est de lui faire découvrir le plus grand nombre de bruits, d’animaux, d’endroits, de gens, de moyens de transport, etc. avant l’âge de 4 mois. Tout ce qui sera découvert plus tard sera plus compliqué à faire accepter au chien.»

«Le dressage que j’ai pratiqué n’utilise pas de friandises mais plutôt la félicitation verbale et le «non», afin de faire comprendre au chien ce que l’on attend de lui. Le plus important pour un chien scolaire est évidemment de ne pas mordre, ni d’attraper une main ou autre entre les dents même pour jouer, et de ne pas avoir de prétention à dominer les humains. Le plaisir à côtoyer ces derniers est également primordial. Tout l’apprentissage doit se faire idéalement dans le milieu visé, c’est-à-dire en classe pour le jeune chien.»

«L’art de bien dresser un chien scolaire consiste à obtenir un équilibre entre dressage et spontanéité. Il ne faut pas en faire un robot! Cela n’aurait en effet aucun intérêt pour le travail de médiation et de régulation des troubles de l’apprentissage qui lui sera confié – sans oublier celui de prévention des accidents avec des chiens, que nous avons pour notre part eu l’occasion de découvrir et de travailler de manière approfondie.»

Cet article a été écrit par Véronique Kipfer
Les photos ont été prises par Olivier Vogelsang
Article publié dans le Migros Magazine le 7 février 2018